Les biocarburants, solution ou mirage pour les TP ?

Dans un contexte d’impérieuse nécessité de diminution des émissions carbone, les particularités des gros engins de chantier conduisent à privilégier le développement des biocarburants. Encore faut-il savoir de quels biocarburants on parle, lever certains freins réglementaires, s’assurer de la capacité à en disposer de suffisamment. C’est tout l’enjeu des actions actuellement menées par la FNTP.

Décarboner le secteur et donc les engins de chantier

La filière des Travaux Publics s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effets de serre et atteindre la neutralité carbone pour 2050.

Les conclusions de l’étude menée avec Carbone 4 en 2022 montrent qu’en 2019, l’acte de construire des infrastructures représentait 3,5% des émissions de gaz à effet de serre de la France, et les émissions liées aux engins de chantier 10% de ces 3,5%. La filière doit donc miser sur le mix énergétique dans sa trajectoire de décarbonation pour respecter ses engagements en matière de décarbonisation.

En 2022 et 2023, la FNTP a participé à un groupe de travail sur la décarbonation des engins de chantier dans le cadre de la feuille de doute de décarbonation des véhicules lourds du ministère de la transition énergétique et de la cohésion des territoires, avec les syndicats de constructeurs d’engins, la FFB, et la fédération DLR, Distributeurs, Loueurs, réparateurs d’engins.

« Les engins ne sont pas des véhicules »   ou « un engin mobile non routier….. est non routier » !

Les enjeux liés à l’énergie utilisée par les engins de chantier sont liés à la particularité de cette flotte. Tout d’abord, ils ne peuvent aller s’avitailler dans des stations publiques. Ensuite, parce qu’il existe une très grande variété de modèles et de taille, liée à des activités très diversifiées, la majorité des engins est donc conçue et fabriquée en petites séries, pour un marché mondial. Enfin, les chantiers peuvent se trouver partout en France, la plupart des engins ne fonctionnent que pendant la journée et ont une durée de vie très supérieure à 10 ans.

En conséquence, l’enjeu de la logistique des énergies de ces engins est majeur, les solutions adaptées aux transports, marchandises comme voyageurs, n’étant pas directement adaptables pour les engins de chantier. C’est ainsi que les carburants sous forme gazeuse (gaz naturel, biogaz, hydrogène) seront difficilement utilisables sur la majorité des chantiers.

Les conclusions du groupe de travail des engins de chantier ont donc été que les engins les plus petits deviendraient le plus probablement électriques, sous réserve d’avoir un accès aisé à l’électricité sur les chantiers, alors que les plus gros resteraient thermiques, en fonctionnant avec des carburants liquides bas carbone, tels que les biocarburants.

Carburants liquides bas carbone (CLBC) = biocarburants

Pour les biocarburants liquides, sont distinguées 3 générations :

  • Biocarburants de 1ère génération, fabriqués à partir d’huile et de céréales, en concurrence avec la production alimentaire humaine et animale. C’est la raison pour laquelle certaines applications, comme aériennes, lui sont interdites.
  • Biocarburants de 2ème génération, fabriqués à partir déchets de tous types, sans concurrence directe avec l’alimentation humaine ni animale.
  • Biocarburants de 3ème génération, produits à partir de micro-­‐organismes photosynthétiques.

Il existe des carburants comme l’e-fuel produits à partir de CO2 capté dans l’air ou dans des fumées d’usine et d’hydrogène vert. On est actuellement en phase d’essai et la production à l’échelle industrielle n’est prévue qu’après 2030.

Quels biocarburants pour les TP ?

Pour les Travaux Publics, deux types de biocarburants liquides sont particulièrement ciblés, le B100 (ester de Colza) et le HVO/XTL.

Le premier (B100) est adapté pour les véhicules (avec une modification mineure du moteur ou avec moteur conçu pour un usage exclusif) et non, à ce stade, pour les engins de travaux publics (non autorisé par les constructeurs d’engins car engins non homologués Stage V).

Le second (XTL/HVO) offre l’avantage de pouvoir remplacer le gazole (sans modification du moteur du véhicule) et est compatibles avec tous les moteurs, notamment avec les engins de travaux publics car la majorité des constructeurs autorisent son utilisation dans les moteurs existants. De plus, il est miscible en toute proportion avec le gazole.

Première difficulté, l’usage de ces biocarburants nécessite une logistique d’approvisionnement spécifique (en captive et pas de bord à bord). Cependant, un arrêté est en cours de finalisation, par lequel ces biocarburants pourront être distribués en station publique et en bord à bord.

D’autres biocarburants liquides existent, tels que l’éthanol ED95, mais ils viennent en remplacement de l’essence et non du gazole.

Quelles quantités disponibles, aujourd’hui… et demain ?

Selon les rapports Concawe et Ademe, la capacité de production de biocarburants estimée, à terme, serait suffisante pour couvrir les besoins des trois industries, aérien, maritime et fluvial, travaux publics, dans les différents scenarii étudiés.

Les quantités actuelles s’élèvent à environ 4 millions de tonnes de carburant liquide bas carbone. Ce volume est déjà en grande partie utilisé, mélangé aux carburants d’origines fossiles pour les décarboner à la hauteur règlementaire de 7% (le B7). Aujourd’hui l’offre est très inférieure à la demande, compte-tenu notamment de la faible disponibilité, en France, de la biomasse. Des plans d’investissement sont prévus pour augmenter considérablement ces volumes, mais à un horizon de 10 ans.

Il est crucial pour le secteur de s’assurer de la disponibilité des biocarburants, pierre angulaire de toute stratégie de décarbonation. La FNTP mobilise les pouvoirs publics à la fois pour qu’ils prennent conscience de l’enjeu spécifique TP et facilitent le développement d’une filière biocarburants.

De la volonté politique à l’action…

En octobre 2023, une conférence s’est tenue à Bercy, sur les biocarburants, en présence des filières concernées (les travaux publics, la filière agricole, les transporteurs routiers, et d’autres organisions).

A l’issue de cette réunion, il a été confirmé que les Travaux Publics, avec les agriculteurs, font partie des filières prioritaires pour l’accès aux biocarburants, avec une trajectoire d’intégration de biocarburants dans les carburants pétroliers pour créer un biocarburant professionnel. Deux groupes de travail ont été annoncés, le premier sur la « demande en énergies », recensant les consommations prévisibles, avec les utilisateurs et les constructeurs d’engins, et le deuxième sur « offre d’énergies ».

Si le premier groupe de travail, sur les usages en énergie, a démarré ses travaux et avance, le second, sur l’offre en énergie, est toujours en attente d’une réunion de lancement…

Il est important de noter que, dans la première version de la Stratégie Française pour l’Energie et le Climat, les engins lourds de chantier sont cités à deux reprises comme prioritaires pour l’accès aux carburants liquides bas carbone. C’est une première étape dans la route de l’accès aux biocarburants compatibles pour les engins de chantier.

La consommation humaine et la préservation de l’environnement seront toujours prioritaires avant toute production pour le transport ou les chantiers mais si on ne travaille pas très vite à la mise en place d’une filière de production nouvelle, le retard pris impactera la capacité du secteur à réussir sa décarbonation.

Ces éléments seront mis à jour en fonction de l’évolution des projets et des positions respectives des acteurs.